John Peck, pionnier de Pipeline et âme mystique du surf, s’en est allé à 81 ans

25 octobre 2025

John Peck s’est fatigué de surfer les vagues terrestres. À 81 ans, le pionnier de Pipeline s’est libéré de son corps pour rejoindre les flots cosmiques, là où les houles ne s’arrêtent jamais. On ne pouvait commencer cet article sans une phrase cosmique pour annoncer la disparition de John Peck. Celui qu’on surnommait “The Cosmic Surfer” a tiré sa révérence, laissant derrière lui un héritage immense, entre innovation technique, mysticisme et liberté absolue. Avec sa disparition, c’est une partie du surf originel — celui où l’océan était un temple et la planche une extension de l’âme — qui s’éloigne dans le ressac du temps.

Des racines nomades vers le Pacifique

Né en 1944 à Los Angeles, John Peck grandit au rythme des affectations militaires de son père, pilote de la Navy. De la Virginie au Texas, puis de San Diego à Waikiki, il découvre très tôt que le mouvement est une constante dans sa vie. C’est à Coronado, en Californie, qu’il attrape sa première vague à quinze ans, avant que la famille ne s’installe définitivement à Honolulu.

À 16 ans, il découvre la culture hawaïenne du surf, l’esprit d’Aloha et la puissance des reef breaks. Très vite, son style fluide et instinctif attire l’attention. À la fin des années 1950, il fait déjà partie des jeunes talents prometteurs du North Shore, alors que le surf moderne est encore en train de se construire.

1963 : le jour où John Peck inventa le “pigdog” ou le "grab the rail backside"

Le 1er janvier 1963, sur la côte nord d’Oahu, John Peck entre dans la légende. Pipeline rugit. Ce jour-là, le jeune Californien de 19 ans se jette dans une vague massive et, dans un geste instinctif, il agrippe le rail extérieur de sa planche pour se caler dans le tube.
Un mouvement simple, mais révolutionnaire : la naissance du pigdog, cette position mythique qui permet aux surfeurs backside de se caler profondément dans le barrel.

Cette session, immortalisée dans plusieurs films de surf (Angry Sea, Gun Ho!, Walk on the Wet Side), bouleversa à jamais la manière de surfer Pipeline. Le geste de Peck lui valut la couverture de Surfer Magazine et un statut de pionnier incontesté. Comme le résume Matt Warshaw dans son Encyclopedia of Surfing :

“John Peck a spontanément inventé une posture basse, main sur le rail, qui lui permettait de rester haut et serré dans la vague — une révélation pour l’époque.”

Du surf à la spiritualité : l’ère psychédélique

Mais John Peck ne fut pas qu’un surfeur technique. Dans les années 1960, il rejoint la Brotherhood of Eternal Love, une communauté de surfeurs et de hippies californiens prônant une vie guidée par la spiritualité, le yoga et… le LSD. Leur credo : paix, illumination et surf.

Peck, lui, devient une figure de ce mouvement alternatif. Il explore les frontières entre surf et transcendance, entre performance et conscience. Mais cette quête de liberté l’entraîne aussi vers l’excès. Il est arrêté à Maui pour possession de drogue et passe du temps derrière les barreaux.

En 1984, il met un terme à cette dérive. Il abandonne la drogue, l’alcool, et retrouve le surf sous un nouveau jour. Il s’initie au yoga, qu’il pratiquera jusqu’à devenir enseignant. Ses contemporains le décrivent alors comme un homme à l’énergie intense, presque surnaturelle. Certains disent même qu’il affirmait pouvoir léviter.

Le shaper visionnaire

L’influence de John Peck dépasse largement le line-up. Dans les années 60, il conçoit avec Morey-Pope Surfboards le modèle Peck Penetrator : une planche fine, nerveuse, à double stringer et à la dérive innovante. Elle deviendra un symbole de la transition entre le longboard classique et les premiers shortboards de la “révolution du surf” à venir.

Peck est aussi l’un des premiers à expérimenter le nose winged design, un avant de planche effilé conçu pour mieux contrôler les manœuvres de nose riding. Des innovations qui influenceront durablement le design moderne.

Mais au-delà des shapes, Peck incarne surtout une philosophie : celle d’un surf organique, intuitif, spirituel — une manière de danser avec la vague plutôt que de la dominer.

“Brother John”, le mentor

Au fil des années, John Peck devient une sorte de guide, une figure de sagesse dans la communauté surf. Il partage son savoir sur la respiration, le mouvement, la santé et la spiritualité. Parmi ceux qu’il a inspirés, Joel Tudor, qui lui rend aujourd’hui un hommage bouleversant :

“Il a été mon premier professeur de yoga à 18 ans. Il m’a appris l’importance d’une vie équilibrée, du mouvement, de la diète et de la paix intérieure. Il surfait encore à plus de 70 ans, à Hanalei Bay et Newport Point. Tu vas me manquer, John. Puisses-tu surfer à jamais les vagues cosmiques.”

D’autres, comme Wayne Rich ou Jim Hogan, saluent son humanité, sa douceur et sa vision. Tous évoquent un homme qui ne surfait pas seulement des vagues, mais l’existence elle-même.

Un esprit libre jusqu’au bout

John Peck n’a jamais cherché la gloire. Il se méfiait de la médiatisation et préférait la communion silencieuse avec l’océan. Son but n’était pas de gagner des compétitions, mais de comprendre l’énergie des vagues, de ressentir la connexion entre le corps, la planche et l’univers.

Il disait souvent que surfer, c’était “apprendre à danser avec la nature sans la déranger”. Et cette danse, il l’a poursuivie toute sa vie, même dans la vieillesse, mince, bronzé, presque translucide, toujours présent sur les spots au lever du jour.

Au-delà du reef : la vague éternelle

Aujourd’hui, la communauté surf pleure la disparition d’un de ses pionniers les plus singuliers.
Mais il serait réducteur de voir en John Peck seulement un surfeur. Il était aussi un philosophe, un chercheur de vérité, un homme en quête d’harmonie.

À travers lui, Pipeline n’était plus seulement un champ de bataille, mais un lieu sacré. Le tube, une métaphore de la vie : sombre, incertain, mais débouchant parfois sur une lumière éclatante.

Alors, au revoir John. Merci pour tes sourires, ta sagesse, tes inventions et ton grain de folie.
Puisses-tu maintenant surfer la grande vague cosmique, au-delà du reef, là où la houle ne s’éteint jamais.

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