Imaginez partir en vacances dans les Caraïbes, découvrir le surf pour la première fois… et finir paralysé. Ce scénario absurde, digne d’un film dramatique, est pourtant une réalité pour une poignée de surfeurs dans le monde. Le nom de ce mal encore méconnu : la myélopathie du surfeur.
Une affection aussi mystérieuse que dévastatrice, qui a déjà brisé plusieurs vies – de la Guadeloupe à Honolulu, en passant par les Alpes suisses.
Février 2025. Flavien, 29 ans, s’envole pour la Guadeloupe avec sa compagne et leur fils. Le séjour s’annonce idyllique : mer chaude, soleil, lagons… C’est lors d’une première leçon de surf à Sainte-Anne que tout bascule. Après quelques minutes passées allongé sur sa planche, en position de rame, Flavien ressent une douleur aiguë dans le bas du dos, rapidement suivie de fourmillements, engourdissements, puis une perte de force dans les jambes.
Transporté d’urgence à l’hôpital de Pointe-à-Pitre, le premier diagnostic est flou. Mais un second neurologue évoque une cause rare : un infarctus médullaire, autrement dit un accident vasculaire de la moelle épinière, aussi appelé myélopathie du surfeur.
Marc, 22 ans, originaire des Grisons en Suisse, rêvait de surfer les vagues du Pacifique. Deux jours après son arrivée à Hawaï, il ressent la même douleur foudroyante que Flavien.
« Je surfais quand soudain, j’ai eu l’impression qu’on m’avait planté un couteau dans le dos », raconte-t-il.
Ses jambes lâchent. Il coule. Sauveteurs, ambulance, diagnostic : myélopathie du surfeur.
Les médecins lui annoncent qu’il ne remarchera probablement jamais. Pourtant, après deux ans de rééducation, Marc a retrouvé l’usage partiel de ses jambes :
« Je peux marcher quelques mètres avec des béquilles. J’ai même refait du snowboard. Mais mon rêve, c’est de retourner surfer, sur cette même plage. »
dentifiée pour la première fois à Hawaï en 2004, la surfer’s myelopathy est une lésion non traumatique de la moelle épinière.
Elle est causée par une hyperextension prolongée du dos, typique de la position de rame sur la planche.
En clair : allongé trop longtemps, le surfeur crée une compression qui réduit l’apport sanguin à la moelle. Résultat : une ischémie médullaire, comparable à un mini AVC de la colonne.
Ce qui rend la maladie perfide, c’est qu’elle survient sans aucun traumatisme. Pas de wipeout, pas de choc contre la planche : tout se passe à l’intérieur du corps.
Une étude japonaise publiée en 2019 décrit le cas d’une jeune femme de 19 ans, débutante, victime de la même pathologie.
En seulement une heure, elle passe de simples picotements à la paraplégie.
Grâce à une prise en charge rapide (oxygénothérapie, corticoïdes, rééducation), elle a pu remarcher en moins d’un mois.
Les médecins japonais évoquent plusieurs hypothèses :
Mais aucune cause unique n’a encore été prouvée.
Peu d’études existent sur cette pathologie. Une revue scientifique coréenne a analysé 3 cas de jeunes hommes (19 à 30 ans), tous débutants en surf. Deux d’entre eux, traités avec des corticoïdes, sont restés paraplégiques malgré des mois de rééducation. Le troisième, soigné par induction d’hypertension pour améliorer la perfusion médullaire, a quasiment récupéré l’usage complet de ses jambes en quelques jours.
Autrement dit, le traitement précoce est essentiel, mais il n’existe aucune prise en charge standardisée. Les pistes incluent :
En 2016, une revue internationale recensait seulement 64 cas documentés dans le monde.
Un chiffre probablement sous-estimé, car de nombreux cas légers passent inaperçus.
Les études montrent pourtant que le pronostic dépend entièrement de la rapidité du diagnostic.
Un traitement précoce peut inclure :
Les patients traités dans les premières heures ont souvent récupéré partiellement.
Pour Flavien, le diagnostic a été confirmé en métropole après une longue errance médicale. Transféré dans un centre de rééducation en Vendée, il a dû tout réapprendre comme un bébé : respirer profondément, ramasser un objet, activer ses muscles. Aujourd’hui, il recommence à bouger sa jambe droite, un peu la gauche. Son objectif est clair : remarcher d’ici décembre.
Il témoigne quotidiennement de son combat dans un carnet de bord, avec l’idée d’en faire un livre. Lui et sa compagne veulent surtout sensibiliser : "Si j’étais resté 5 minutes de plus dans l’eau, je me serais peut-être noyé".
L’un des constats partagés par les études scientifiques est limpide : la prévention est la clé. Aux États-Unis, une fondation a créé le sigle SPINE pour sensibiliser les surfeurs :
En France et en Europe, la majorité des moniteurs n’ont jamais entendu parler de ce syndrome. Il serait temps d’intégrer cette information dans les formations de surf, comme cela commence à se faire à Hawaï ou en Corée du Sud.
Dans les cas les plus graves, la reprise du surf est impossible. Mais certains patients ayant récupéré partiellement ont pu remonter sur une planche, avec prudence. Il est cependant recommandé de consulter un neurologue ou un médecin du sport avant toute reprise, et d’éviter les longues périodes de rame en extension.
L’histoire de Flavien met en lumière une réalité cruelle : un accident invisible peut briser une vie en quelques minutes, sans prévenir. Et pourtant, en informant mieux, en réagissant plus vite, en adaptant l’enseignement du surf, de nombreux cas pourraient être évités ou atténués.
La myélopathie du surfeur n’est pas une fatalité. Mais pour que cela devienne vrai, il faut briser le silence, documenter les cas, et surtout, écouter son corps dès les premiers signes d’alerte.