Dans le surf, une image vaut mille mots – mais que se passe-t-il quand cette image ment ? À l’inverse du skate, les magazines de surf continuent de publier des figures non plaquées en couverture. Un scandale silencieux que peu osent dénoncer.
Depuis des décennies, les photographes de surf capturent des instants de grâce : des tubes profonds, des airs gigantesques, des silhouettes figées dans le chaos de la vague. Mais ce que beaucoup ignorent, c’est que ces figures ne sont pas toujours “plaquées”. Autrement dit, le surfeur ou la surfeuse ne termine pas la manœuvre.
Contrairement au skateboard – où l'on ne publie quasiment jamais une figure non réussie –, le surf semble s’accommoder de ce flou artistique. Pourquoi ? Parce que la photo est belle, spectaculaire, iconique. Mais est-ce suffisant ?
La couverture du 65ᵉ anniversaire de SURFER Magazine met en scène la jeune Erin Brooks, shootée par le célèbre Brian Bielmann à Rocky Point, exécutant un énorme air frontside. Problème : elle ne l’a pas plaqué.
Sur les réseaux sociaux, la communauté ne tarde pas à réagir. Certains commentent :
“Did she land that? Or am I missing something…”
“@erinbrookssurf you did not land this tf”
“Who cares about authenticity anymore?”
Même si la photo reste impressionnante, la réaction est révélatrice d’un ras-le-bol croissant face à cette pratique que certains n’hésitent plus à qualifier de fraude visuelle.
On aurait tort de croire que ce phénomène se limite aux magazines américains ou australiens. En France aussi, les couvertures "trompeuses" font partie du décor. Surf Session, Surf Europe, Trip Surf… difficile de compter le nombre de couvertures illustrées par un air non plaqué, un tube non sorti, voire pire : un bon gros "closier", cette section finale qui ferme inévitablement sur le surfeur.
Je me souviens d’une journée il y a une dizaine d’années, quelque part sur un beachbreak landais. Les vagues faisaient deux mètres, creuses, classiques, avec quelques jolis tubes à prendre — mais aussi beaucoup de sections qui ferment brutalement.
On avait calé une session avec un surfeur pro et un photographe aquatique. Moi, j’étais à l’eau avec la caméra. Pendant deux heures, le surfeur a enchaîné les tentatives, sans sortir un seul tube. Que des closings, parfois esthétiques, mais toujours ratés.
J’étais un peu blasé, persuadé d’avoir filmé deux heures de footage inutilisable. Mais quand ils sont sortis de l’eau, le surfeur et le photographe affichaient un grand sourire. Je leur demande : “Alors ?” — “C’est bon, on a la couv”, me répondent-ils.
Et devinez quoi ? Ils l’ont eue. Couverture de Surf Session. Un joli cliché, bien calé, bien éclairé… d’un tube qui n’a jamais été sorti.
Dans le skateboard, il est impensable qu’une figure non réussie apparaisse dans une vidéo ou en couverture. Les photographes attendent la réussite parfaite avant de shooter. Les caméramans montent scrupuleusement chaque séquence, et l’éthique de la réussite est sacrée.
Pourquoi cette exigence ne s’applique-t-elle pas au surf ? Est-ce lié à la difficulté technique, à l’imprévisibilité de l’océan, ou à une culture plus “esthétique” qu’authentique ?
En vidéo, le phénomène est moins répandu – mais il existe. Certains éditeurs coupent juste avant la chute, ou jouent sur les ralentis pour donner l’illusion d’un trick réussi. C’est rare, mais pas inexistant. Et cela nourrit une culture de l’apparence, au détriment de la performance réelle.
Des figures non plaquées mises en avant par les plus grands médias donnent un message trouble : “ça suffit d’essayer”. Pourtant, la progression réelle passe par la réussite, par la chute et par le dépassement. Le surf est un sport de vérité. Ne trahissons pas cette essence.
À l’heure où les jeunes talents comme Erin Brooks repoussent les limites du surf féminin, il est temps de demander davantage de rigueur visuelle. Oui, l’esthétique compte. Mais la vérité compte plus encore.