Une enfant de 12 ans vient de se qualifier pour la plus dangereuse des étapes du World Tour. À Teahupo’o, Kelia Mehani Gallina écrase les pronostics et entre dans l’histoire… mais à quel prix ?
Teahupo’o. Une vague mythique, un mur liquide qui se fracasse sur un reef aussi tranchant que la lame d’une machette (bon on y va un peu fort, mais le risque est réel). C’est ici que Kelia Mehani Gallina, surnommée "Miss Teahupo’o" sur Instagram, a grandi. Née en 2012, elle y a pris sa première vague à quatre ans, poussée par son père Ryan, au même moment que son meilleur ami. "Mais il était de quelques mois plus jeune, alors techniquement, c’est lui le plus jeune à avoir surfé Teahupo’o", plaisante-t-il.
Le 20 juillet 2025, Kelia remporte les trials féminins du Lexus Tahiti Pro en dominant Aelan Vaast en finale. Elle devient ainsi la première wildcard féminine issue des trials, et surtout, la plus jeune surfeuse de l’histoire à se qualifier pour une épreuve du Championship Tour (CT) de la WSL.
Elle n’a que 12 ans, mais déjà une maturité dans le tube que peu d’adultes peuvent revendiquer. Ce qui est le plus surprenant, c'est qu'elle évolue backside sur la gauche de Teahupoo. Quand on sait que certaines surfeuses pro sur le circuit ne savent pas tuber backside, c'est vraiment impressionnant. Sa victoire a secoué la planète surf. Tatiana Weston-Webb l'a félicitée, Bethany Hamilton a parlé d’un "truc de ouf", et Erin Brooks, autre prodige, l’a congratulée. En 2024, elle avait déjà participé au TOA Pro, une compétition QS à Tahiti, où elle avait terminé 25e.
Sa wild card lui donne droit d’affronter les meilleures surfeuses de la planète dans quelques jours. Ironie du destin, elle fêtera ses 13 ans le 10 août, en plein milieu de la waiting period du Lexus Tahiti Pro (7-16 août). Un anniversaire pas comme les autres, au bout du monde.
Mais, Teahupo’o n’est pas un terrain de jeu pour enfants. Loin de là. C’est un monstre, une vague creuse, puissante, mécanique, où le moindre retard se paie comptant. En 2024, plusieurs surfeurs y ont laissé des plumes, même parmi l'élite.
Qu’adviendra-t-il si les conditions s’emballent pendant la compétition ? Si le swell dépasse les deux mètres, et que les tubes deviennent aussi épais qu’une voiture ?
Certes, la WSL peut décaler les séries, jouer avec la waiting period. Mais dans une compétition CT, on ne choisit pas toujours son moment, on y va quand il y a des vagues. Actuellement, dans le monde du surf professionnel, on pousse les filles à charger des vagues de plus en plus puissantes, et c'est notre inquiétude vis-à-vis de la jeune tahitienne, qui ne manque pas de talent.
Personne ne remet en cause le talent de Kelia. C’est une surfeuse d’exception, probablement l’avenir du surf féminin dans les vagues tubulaires. Mais cela justifie-t-il qu’une enfant affronte, en compétition, l’une des vagues les plus dangereuses au monde ?
Aujourd’hui, il n’existe pas d’âge minimum imposé par la WSL pour participer au CT. Est-ce tenable ? D'autres sports extrêmement encadrés, comme la gymnastique ou la F1, fixent des seuils d’âge et d’expérience pour des raisons de sécurité et de maturité mentale. Pourquoi pas le surf, surtout sur des spots comme Pipeline ou Teahupo’o ?
Kelia n'est pas responsable : elle a le niveau, la passion, et sans doute la maturité pour gérer cette pression. Mais le système qui l’entoure ? Il doit, lui, se poser les bonnes questions.
Kelia incarne une nouvelle ère. Celle d’un surf féminin plus radical, plus ancré dans les vagues engagées. Elle est la preuve vivante que les jeunes filles peuvent dompter les mêmes monstres que les hommes, et avec autant de style.
Teahupo’o, longtemps absent du circuit féminin, est de retour dans les annales. Et cette fois, c’est une enfant du village qui en écrit le chapitre.
Si la météo est avec elle, si la houle reste humaine, elle pourrait bien créer la surprise. Elle pourrait même révéler un visage du surf féminin que le monde attendait.
Mais quoi qu’il advienne, l’image restera : celle d’une gamine de 12 ans, tenant son lycra blanc, les yeux grands ouverts. Un moment d’histoire. Un vertige. Une promesse.