Il ne peut pas s’en empêcher. À chaque fois qu’un contest de longboard WSL se termine, Joel Tudor y va de son avis tranchant. Le triple champion du monde, 49 ans, a une plume aussi affûtée qu’une dérive single fin, et cette fois, c’est la compétition d’Abou Dhabi qui a ravivé sa flamme polémique.
Quelques heures après la victoire du Français Édouard Delpero et de l’Hawaïenne Honolua Blomfield, Tudor a posté un mème devenu viral :
“La WSL a encore réglé la piscine à vagues sur le mode débutant pour les longboarders.”
Et le message, limpide : selon Tudor, la WSL bride le niveau en proposant des vagues trop molles, trop faciles, presque insultantes pour les surfeurs de haut niveau. Et pour le coup, nous sommes d'accord et nous en avions parlé dans ce premier article, résumé de la journée 1 homme Abu dhabi 2025
Mais comme souvent avec le Californien, le discours cache plusieurs couches de contradictions.
Ce qui fait sourire (jaune), c’est que Joel Tudor a lui-même milité pendant des années pour le retour du longboard classique, celui du style, du noseride et des planches single fin.
Un surf élégant, mais par définition moins technique quand il s’agit d’engager backside dans un barrel ou de taper un roller vertical avec une seule dérive.
Autrement dit, Tudor a contribué à façonner une génération de longboarders ultra-stylés, mais peu polyvalents. Et aujourd’hui, il s’étonne que la majorité d’entre eux “ne sache pas tuber”.
“Le plus triste, c’est que la majorité de ceux qui participent ne savent même pas surfer un barrel”, a-t-il écrit sur Instagram.
“S’il n’y a personne pour les guider, personne pour défendre le vrai longboard, alors la discipline est condamnée.”
Sauf qu’en voulant protéger la pureté du style, Joel Tudor a aussi fermé la porte au modern longboard, celui qu’incarnent justement des surfeurs comme Édouard Delpero, Ben Skinner ou Harrison Roach : des riders capables d’allier grâce et puissance, noseride et tube.
Pour autant, le constat de Tudor n’est pas entièrement faux.
Si les longboardeuses comme Honolua Blomfield affichent souvent une technique fluide et complète, le niveau des femmes dans le tube est faible comme se fut le cas en shortboard dans le passé. Au niveau des hommes, on va dire que frontside la majorité s'en sorte bien, mais au niveau backside dans le tube la grande majorité des longboarders ne savent pas tuber, il faut le dire.
Il faut le dire : 90 % des longboarders ne savent pas vraiment tuber backside. Non pas qu’ils ne puissent pas le faire, mais parce que le format de compétition et les spots choisis ne les y encouragent jamais.
À Abou Dhabi, les vagues artificielles de la piscine WSL offrent peu de sections tubulaires, et un mur d’eau bien trop docile pour espérer un tube engagé.
Alors évidemment, difficile de reprocher aux compétiteurs de “fuir le barrel” quand le barrel n’existe pas vraiment.
Autre détail piquant : dans son discours incendiaire, Tudor félicite Honolua Blomfield (dans les commentaires) pour sa victoire… mais passe totalement sous silence Édouard Delpero.
Un oubli ? Difficile à croire.
Entre les deux hommes, le courant n’a jamais vraiment passé.
Delpero incarne tout ce que Tudor déteste : un surf de longboard moderne, inspiré du shortboard, avec engagement, avec une configuration tri-fins.
En clair, la tête de gondole du modern longboard.
Pour Tudor, Delpero symbolise ce qu’il considère comme une “dérive” du longboard, celle où le style s’efface au profit de la performance.
Mais la réalité est peut-être plus simple : Delpero représente l’évolution naturelle de la discipline, là où Tudor, lui, reste campé dans un passé idéalisé.
Cette nouvelle sortie médiatique relance un débat qui divise le longboard depuis toujours :
Faut-il préserver le classic style, avec ses lignes pures et son minimalisme ?
Ou faut-il embrasser le modern longboard, plus technique, plus radical, et plus proche du shortboard ?
Entre les deux, la vérité est sans doute dans l’équilibre.
Le longboard n’a jamais été aussi riche, ni aussi diversifié. Et s’il y a bien une chose que prouve la victoire d’Édouard Delpero à Abou Dhabi, c’est que le style et la technique peuvent cohabiter.
Tudor le sait sans doute très bien. Mais fidèle à sa nature, il préfère encore allumer un feu pour rappeler qu’il existe.